Le monde du fromage est en pleine fermentation en ce début d’année, après qu’un tribunal de l’Etat de Virginie (Etats-Unis) ait considéré dans sa décision que « bien que le terme gruyère puisse avoir été autrefois compris comme l’indicateur d’une zone de production de fromage, le compte rendu factuel montre largement que le terme gruyère est au fil du temps devenu générique pour les personnes achetant du fromage aux États-Unis ».
Par cette décision, le juge américain ouvre la possibilité à tout producteur de fromage de dénommer son fromage gruyère, même s’il ne remplit pas les critères pour en être et même s’il ne s’agit en rien de gruyère.
Or, en Suisse et en France, ainsi que dans le reste de l’Union européenne, le gruyère est une indication géographique protégée (IGP) dont le cahier des charges impose que le fromage provienne de la région de Gruyère et que ce dernier ait une texture légèrement humide avec un fondant et un émiettement moyens, qu’il ait la forme d’une roue, pesant entre 25 et 40 kilos et qu’il exhale des notes fruitées.
Le contentieux ayant abouti à cette décision controversée oppose depuis déjà plusieurs années l’interprofession du Gruyère et l’organisation U.S. Dairy Export Council, une association américaine d’exportation de produits laitiers.
Si ces derniers ont remporté une première bataille, pour autant la guerre du fromage n’est pas encore gagnée. En effet, l’interprofession du Gruyère a déjà annoncé faire appel de cette décision.
Par ailleurs, cette décision semble se placer du point de vue du droit des marques où la notion de dégénérescence du signe a une importance.
Or, la dénomination Gruyère est indication géographique protégée en Europe et elle ne peut pas perdre sa protection, même si elle est employée de manière générique par les consommateurs.
Ainsi, même si le U.S. Dairy Export Council devait obtenir gain de cause en appel, il ne pourrait pas inonder le marché européen de son faux gruyère, car celui-ci porterait atteinte à l’IGP Gruyère.
Quant aux Etats-Unis, l’angle d’attaque des européens serait d’obtenir un accord bilatéral de reconnaissance de l’IGP Gruyère, ce qui mettrait alors fin à toutes discussions.
L’organisation U.S. Dairy Export Council, en utilisant la dénomination gruyère sans contrainte, parviendra-t-elle à « se retirer dans un fromage » comme le veut l’expression consacrée où le fromage désigne ici une situation lucrative et de tout repos ?
Affaire à suivre…
– Philippe BOHLAND, Conseil en propriété industrielle et associé chez Mark & Law