Tout ce qui pétille n’est pas « Champagne » : une histoire d’Appellation d’Origine Protégée

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Les juridictions européennes ont, en septembre dernier à travers une affaire de boissons à bulles, à nouveau renforcé la protection conférée aux produits couverts par une appellation d’origine protégée (AOP).

Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’une appellation d’origine ?
Ce terme est défini comme étant le nom d’une région ou d’un lieu déterminé qui sert à désigner un produit satisfaisant à certaines exigences, notamment sa qualité et ses caractéristiques qui sont dues essentiellement/exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents. Cette appellation est protégée contre toute utilisation qui aurait pour objectif de profiter de la réputation associée aux produits répondant à ces exigences.

La présente affaire concernait ici la société GB possédant des bars à tapas en Espagne et utilisant le signe « Champanillo » (qui signifie, en espagnol « petit champagne ») afin de les désigner et de les promouvoir sur les réseaux sociaux en association avec un support représentant deux coupes remplies d’une boisson mousseuse qui s’entrechoquent. Estimant que l’utilisation du signe « Champanillo » constitue une violation de l’AOP, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) a formé un recours devant le tribunal de commerce de Barcelone pour obtenir la cessation de l’utilisation du signe « Champanillo » et la suppression du nom de domaine <champanillo.es>. La société GB, contestant ces demandes, des questions préjudicielles ont été posées à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Cette nouvelle décision de la CJUE vient préciser le champ de protection des AOP. Elle énonce d’abord que l’AOP est protégée contre toute usurpation, imitation ou évocation, et ce même dans l’éventualité où l’origine véritable du produit ou du service est indiquée. Elle rappelle par la même occasion l’intention du législateur lors de la rédaction du règlement, qui était d’instituer une protection des AOP contre toute utilisation faite par des produits ou des services ne relevant pas de cette protection.

La Cour encadre aussi la notion « d’évocation » dans cet arrêt. D’abord, il n’est pas nécessaire que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou service grevé du signe litigieux soit identique ou similaire ; il faut seulement que l’usage de la dénomination produise dans l’esprit du consommateur européen moyen (normalement informé et raisonnablement attentif et avisé) un lien suffisamment direct et univoque entre la dénomination et l’AOP. L’incorporation partielle de l’AOP dans le signe litigieux, une parenté phonétique et visuelle entre les deux signes, une proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination litigieuse ou encore une similitude entre les produits couverts par les deux signes peut suffire. La juridiction de renvoi se doit donc de prendre en considération tous les éléments pertinents entourant l’usage de la dénomination litigieuse pour juger s’il y a ou pas présence d’évocation.

En sus de cela, la CJUE établit dorénavant que le régime de protection AOP est un régime objectif ne nécessitant pas de démontrer l’existence d’une intention ou d’une faute ou d’un rapport de concurrence entre les produits protégés par l’AOP et les produits ou services pour lesquels le signe litigieux est utilisé, ni même la présence d’un risque de confusion pour le consommateur. En somme, la protection des AOP est tout à fait indépendante de l’existence d’un acte de concurrence déloyale.

Cette décision a réjoui les membres de la CIVC, tant les batailles de ce genre sont incessantes pour les défenseurs de l’AOP « Champagne ». Même si cette affaire ne sera définitivement réglée qu’une fois que le juge espagnol se sera prononcé sur la question de savoir si « Champanillo » porte atteinte à cette AOP, elle vient renforcer la position privilégiée dont bénéficient les AOP sur la scène européenne et internationale.

 

Isabella MOUSTIQUE, juriste stagiaire chez Mark & Law

 

Sources :

  • Décision de la CJUE du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne c/ GB, C-783/19
  • Décision de la CJUE du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador Denominación de Origen Protegida Queso Manchego, C-614/17