L’auteur d’une œuvre d’art, est-il celui qui l’imagine, ou celui qui la réalise ?
Une problématique qui trouvera peut-être une réponse le 8 juillet par le tribunal judiciaire de Paris qui aura le plaisir d’arbitrer ce débat vieux comme l’art, après l’audience de ce vendredi 3 mai. Le monde de l’art en frissonne…
Les faits sont les suivants :
Maurizio Cattelan, star italienne de l’art contemporain et de la provocation fait l’objet d’une plainte* par l’un de ses sculpteurs attitrés, le français Daniel Druet, pour violation des droits d’auteur de ce dernier.
(*plainte visant également son galeriste Emmanuel Perrotin et la Monnaie de Paris)
Daniel Druet, deux fois Prix de Rome, a produit nombre d’œuvres pour le Musée Grévin et a également réalisé pour Maurizio Cattelan 9 sculptures au réalisme étonnant entre 1999 et 2006, pour lesquelles il réclame une paternité exclusive et la somme de 4 millions d’Euros. Cette bagarre judiciaire dure depuis déjà quatre années, autour d’œuvres comme Him (2001), représentant un Adolf Hitler pénitent, de la taille d’un enfant, en train de prier à genoux, ou La Nona Ora (1999) montrant le pape frappé par une météorite.
Les deux artistes, le commanditaire conceptuel et l’exécutant académique, illustrent un vieux débat qui refait rage : l’artiste est-il celui qui crée techniquement l’œuvre ou celui qui la conçoit ?
Que M. Druet ait façonné ces sculptures avec virtuosité suffit-il à faire de lui l’auteur de l’œuvre les intégrant ?
Beaucoup d’artistes font depuis toujours travailler des sous-traitants sans que ceux-ci soient confondus avec les créateurs…
Le travail de M. Druet n’a pas été caché et a toujours été payé sur devis dès la première collaboration (sans contrat cependant, faille exploitée par l’avocat de M. Druet). M. Cattelan et son galeriste ont eux pris tous les risques liés à ces sculptures sulfureuses.
L’avocat de M. Cattelan considère que « la réalisation matérielle de l’œuvre passe au second plan par rapport à sa conception », que « M. Druet a un savoir-faire (…) mais ce savoir-faire ne donne aucun choix créatif parce que tout ce qu’il va faire c’est de suivre des instructions », « des instructions d’une précision mathématique » données par M. Cattelan à M. Druet, qui disait lui-même les respecter à la lettre.
« Il ne s’agit pas de dire que toute idée doit être protégée, il s’agit de dire que lorsqu’une idée se matérialise par des choix importants, il y a protection ».
La mise en scène des sculptures créerait donc l’œuvre. Le pape livré par M. Druet a de fait été cassé en deux par M. Cattelan et exposé dans une attitude extrêmement précise.
Les œuvres de M. Cattelan existent-elles sans M. Druet ? Oui si l’on considère par exemple que les exemplaires de La Nona Ora n’ont pas tous été façonnés par M. Druet.
L’avocat de M. Druet invoque quant à lui que « Si on voulait un exécutant, on n’aurait pas pris Daniel Druet, qui n’est pas le moins cher du marché. (…) Il a sculpté Coluche, Bocuse, Depardieu. Il est le seul à avoir sculpté François Mitterrand de son vivant. (…) Il a, dans ses pouces, cette magie artistique. ».
Evoquant la statue d’Adolf Hitler, M. Druet a réalisé « ce regard qui est terrible, c’est ça qui fait peur. (…) Je pense que M. Cattelan peut revendiquer des droits sur l’installation », mais « il y a un travail créatif derrière ».
Autrement dit sans sculpture la scénographie ne met rien en scène.
Se joue donc la question de la propriété intellectuelle dans l’art conceptuel, affaire à suivre…
− Sylvie BOYER, Paralégale chez Mark & Law
Sources :