Alan Jay PERLIS, spécialiste en informatique affirmait en 1982 que « dans la symbiose homme-machine, c’est l’homme qui doit s’adapter parce que la machine ne peut pas ». Cette affirmation est particulièrement vraie aujourd’hui.
En effet, avec le développement de l’intelligence artificielle, celle-ci est maintenant capable de générer des créations de manière quasi autonome dans de nombreux domaines. Nous pouvons donc légitimement nous demander si ces réalisations sont susceptibles de protection par le droit d’auteur.
Or, en l’état actuel du droit d’auteur et de la doctrine, le créateur est nécessairement une personne physique, et ce en dépit du fait que cette règle n’est pas expressément énoncée dans les textes de loi. En effet, l’intervention humaine est ici primordiale, puisque l’humain est le seul à avoir « l’esprit » nécessaire à la création de l’œuvre. D’ailleurs, le Code de la propriété intellectuelle vise spécifiquement les personnes physiques.
Cette limite quant à la nature de la personne pouvant être reconnue en tant qu’auteur tient à la condition sine qua non permettant l’application du droit d’auteur : l’originalité, foncièrement liée à la personnalité de l’auteur et définie en jurisprudence comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur sa création.
Rappelons ici l’arrêt Painer dans lequel la Cour a établi qu’une photographie est originale en ce sens qu’elle est une création intellectuelle propre à son auteur et reflète sa personnalité. Elle ajoute encore que la condition d’originalité est remplie lorsque « l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs », c’est-à-dire en y insufflant sa « touche personnelle ». Cette condition de l’originalité implique donc la nécessité d’être en présence d’une personne physique puisque seule une personne physique est capable d’effectuer des choix libres et éclairés témoignant de sa personnalité dans l’œuvre.
De ce fait, puisque l’intelligence artificielle est dépourvue de tout personnalité et de la conscience du résultat requis chez l’auteur de la création, ses réalisations ne sont pas en mesure de refléter une quelconque personnalité et ne sauraient de facto remplir la condition d’originalité.
Notons par ailleurs que, dans la même ligne de pensée, le US Copyright Office vient de confirmer dans une récente affaire aux États Unis que les œuvres d’art générées par une intelligence artificielle sont insusceptibles de protection par le copyright (pendant du droit d’auteur aux États Unis).
Face à cette inapplicabilité du droit d’auteur, une partie de la doctrine, à l’instar de Audrey LEBOIS et par nécessité d’assurer aux acteurs économiques un retour sur investissement, considèrent que la solution serait la mise en place d’un droit sui generis pour les producteurs de créations réalisées par intelligence artificielle. Une autre partie estime quant à elle qu’il serait plutôt préférable que ces réalisations demeurent libres de droits privatifs.
Quoiqu’il en soit, il est certain qu’aussi longtemps que le législateur ne se sera pas prononcé pas sur ce point de manière claire et précise, ce sujet continuera à faire l’objet de vifs débats dans la doctrine et parmi les divers acteurs économiques.
– Isabella MOUSTIQUE, juriste en propriété intellectuelle chez Mark & Law
Sources :